14 février 2010

Horace Tapscott by Serge Baudot



Article publié dans Jazz Hot , n° 559, en avril 1999

Jour de tristesse, larmes amères. Encore un pianiste de légende qui nous quitte. Il y a quelques jours c’était Michel Petrucciani, puis Jaki Byard dans des circonstances tragiques, et aujourd’hui c’est Horace Tapscott. Quelque chose de la beauté du monde s’en est allé avec eux, mais le piano, le jazz et le disque garderont leur mémoire et leurs apports à jamais pour que chante en nous leur musique.
Horace Tapscott, né à Houston, Texas, le 6 avril 1934, est mort le 27 février 1999 à Los Angeles. Il s’était donné la mission de faire comprendre à son peuple, les Noirs d’Amérique, que le jazz était sa musique, son plus bel héritage, sa revanche sur l’esclavage. Il menait ce travail de pédagogue surtout auprès des enfants. Joignant les actes à la parole, il s’était installé en 1965 dans Watts, le ghetto de Los Angeles, où il avait sauvé bien des choses par son courage devant la police lors des tristement célèbres émeutes. Là, il avait vu que la musique pouvait avoir en plus d’un pouvoir de distraction, le pouvoir de faire respecter la dignité humaine. En militant absolu, il avait fondé l’UGMAA (Union of God’s Musicians and Artists Ascension) et le Pan Afrikan Peoples Arkestra qui donnait des concerts gratuits pour la communauté noire, lui gagnant sa vie dans des gigs à 10 dollars. Pour les mêmes raisons il créera le label Nimbus (son interview dans Jazz Hot n°548 est révélatrice de son cheminement).
Il avait commencé sa carrière musicale par le trombone avec Eric Dolphy et Don Cherry puis Gerald Wilson et Lionel Hampton. Pour des raisons de santé, il s’était mis au piano où il se révéla être un grand créateur, jouant avec Roy Haynes, Arthur Blythe, Red Callender, Andrew Cyrille, Cecil McBee, Charles Mingus, etc.
Sa musique est belle, élégante, empreinte des racines, du blues et du gospel. Au piano, il reconnaissait comme première influence sa mère qui jouait dans le style de James P. Johnson, puis Duke Ellington, Art Tatum, Earl Hines, Erroll Garner. Son phrasé est un extraordinaire composé de stride, de bebop et de free avec à la main gauche des harmonies touchant parfois à la dissonance. Fait assez rare, il aimait travailler avec des chanteurs comme Leon Thomas ou Elaine Brown. L’homme était grand, élégant, chaleureux et plein d’humour, humble, courageux jusqu’à la témérité comme à Watts, d’une gentillesse et d’une générosité à toute épreuve. Je n’oublierai pas cette rencontre à La Seyne-sur-Mer en 1995, où il avait séduit tout le monde par la richesse de sa personnalité ; ni le grand concert qu’il nous y offrit ; ni son attitude au piano quand, emporté par sa musique, son corps semblait aller à la chute mais revenait se placer devant le clavier à l’instant précis où les doigts devaient se poser sur les touches. Pour lui, le jazz était la musique de l’Amérique, un immense collage, une seule et même composition. Il disait qu’il écoutait avec tout son métabolisme et qu’il jouait comme ça. Il était aussi compositeur, définissant ainsi sa démarche : « J’entends un oiseau, d’autres oiseaux lui répondent. J’écris ce que j’entends, sur le rythme. »
Frère de Mingus, il avait, à Watts, trouvé des réponses différentes, sur place, aux mêmes interrogations, ce qui le priva de la reconnaissance internationale en dehors d’un cercle d’amateurs et de professionnels curieux (en France, Gérard Terronès et Alain Dupuy-Raufaste). Il est d’une génération de musiciens qui ne souciaient pas de leur carrière ; ils étaient libres et jouaient comme on prie, leur lyrisme venant du fond de l’âme pour étinceler dans le cœur humain
.


Aucun commentaire: